PARIS, 14 décembre 2015 (COMITÉ VIETNAM) – Le Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme (CVDDH) en appelle aujourd’hui à l’Union Européenne pour qu’elle presse le Vietnam de s’engager d’urgence sur la voie de progrès mesurables lors du cinquième tour du Dialogue UE-Vietnam sur les droits de l’Homme, qui doit se tenir à Hanoi le 15 décembre 2015.
Ce dialogue a lieu avec en toile de fond une escalade de la violence contre les défenseurs des droits de l’Homme et la société civile indépendante. Le 4 décembre dernier, la police a réprimé la cérémonie de la Journée de la Mémoire organisée par l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (EBUV) à la Pagode Long Quang à Hué. Pour empêcher la tenue de cette cérémonie, des centaines de policiers ont bloqué les pagodes de l’EBUV à Hué et Danang, et détenu pendant 4 jours 11 dignitaires de l’EBUV, dont le Président par intérim de l’Institut exécutif de l’EBUV Thich Thanh Quang et le chef du Mouvement Bouddhiste de la Jeunesse Le Cong Cau. Le 6 décembre, dans la province de Nghe An, l’avocat et ancien prisonnier politique Nguyen Van Dai ainsi que 3 de ses collègues ont été brutalement battus par des agents de la Sécurité en civil après la réunion qu’il avait organisée pour discuter des droits de l’Homme et de la Constitution de 2013. Des dizaines de policiers aux visages masqués les ont arrachés de leur taxi et les ont roués de coups. Ils ont poussé Dai dans une voiture, confisqué son téléphone portable et son argent, et l’ont jeté sur la route quelques 50 kilomètres plus loin. Dai a récemment subi 5 agressions de ce type, aucune n’a fait l’objet d’enquête de la police. Cet incident est intervenu la semaine durant laquelle les militants de la société civile vietnamienne voulaient marquer la 67ème Journée internationale des Droits de l’Homme (10 décembre 2015) en organisant nombre d’activités.
« Les défenseurs des droits de l’Homme, les blogueurs, les fidèles des différentes communautés religieuses — en fait tous ceux qui sont en désaccord avec le Parti Communiste du Vietnam au pouvoir — doivent faire face aux passages à tabac, aux menaces et aux détentions pour le simple fait d’avoir exprimé leurs opinions ou leurs croyances », a dit Vo van Ai, Président du Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme. « L’Union Européenne doit s’assurer que le dialogue aboutisse à des progrès concrets pour les droits de l’Homme, et non à des promesses vides de la part des autorités vietnamiennes ».
Dans un mémorandum commun soumis à l’Union Européenne à l’occasion d’une consultation de la société civile, le CVDDH et la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) ont mis l’accent sur l’augmentation alarmante des violences policières. Le Pasteur Ménonnite Nguyen Hong Quang, le militant Dinh Quang Tuyen, les défenseurs des droits de l’Homme catholiques Tran Minh Nhat et Chu Manh Son, le blogueur Trinh Anh Tuan, le militant des droits des travailleurs Do Thi Minh Hanh et le journaliste Truong Minh Duc figurent parmi les cas soulevés. Ces deux derniers ont été bastonnés par la police dans la ville de Bien Hoa alors qu’ils aidaient des ouvriers de la société Yupoong à déposer des demandes d’indemnisation à la suite d’un incendie dans leur usine.
Les brutalités policières s’accroissent également dans les prisons. Le CVDDH et la FIDH rapportent que 226 personnes sont décédées en détention à la suite de violences policières au Vietnam durant les seues trois dernières années.
Les violations de la liberté d’expression sont toujours très graves. En 2015, les journalistes et les blogueurs ont dû faire face aux persécutions et aux pressions simplement pour avoir exprimé des points de vue alternatifs. Le CVDDH et la FIDH ont cité le cas du journaliste Do Van Hung licencié du célèbre journal Thanh Nhien (Jeunesse) pour s’être moqué de Ho Chi Minh sur sa page Facebook ; de Kim Quoc Hoa, rédacteur en chef du journal Nguoi Cao Tuoi (Les Personnes Âgées), licencié et poursuivi pour « abus des libertés démocratiques » (article 258 du Code pénal) pour avoir publié des articles révélant la corruption des cadres — son journal a finalement été fermé ; du célèbre blogueur Nguyen Huu Vinh (alias Anh Ba Sam) et de sa collègue Nguyen Thi Minh Thuy, tous deux arrêtés en mai 2014 et incarcérés pendant 18 mois sans procès, dans la Prison B14 à Hanoi, en violation de la procédure pénale qui prévoit une durée maximale de la détention préventive de 12 mois. Ils sont accusés de « calomnier la réputation du Parti et de l’Etat » et risquent d’être poursuivis sous l’article 258 du Code pénal.
La peine de mort, largement utilisée au Vietnam, a également été largement dénoncée par le CVDDH et la FIDH. Du fait du manque d’indépendance et de transparence de l’appareil judiciaire vietnamien, d’un accès insuffisant aux avocats et des procès iniques, le nombre d’erreurs judiciaires est alarmant, 18 pour la seule année 2015. Grâce à une forte pression internationale, notamment de la part de la délégation de l’Union Européenne au Vietnam, le condamné à mort Le Van Manh a vu sa peine suspendue. Les ONG internationales ont montré que les poursuites contre Le Van Manh étaient entachées de vices de procédure et que ses « confessions » avaient été obtenues sous la torture. Bien que le Vietnam ait récemment réduit le nombre des crimes passibles de la peine capitale, la peine de mort pour les crimes contre la « sécurité nationale », invoqués pour réprimer toute opposition politique, a été maintenue.
La liberté de religion ou de croyance, qui souffre de grave violations au Vietnam, risque d’être encore plus restreinte avec la nouvelle « loi sur la religion et la croyance », qui est actuellement en discussion devant l’Assemblée Nationale. Le projet de loi contient en effet des dispositions autorisant le gouvernement à s’ingérer dans les affaires internes des organisations religieuses, comme la nomination des dignitaires, la détermination du contenu de la formation et l’éducation religieuse. Il permet aux autorités de suspendre les célébrations religieuses pour des motifs de « défense ou de sécurité nationales » et contient des dispositions vagues et imprécises qui pourraient être utilisées pour discriminer les minorités ethniques et les groupes religieux indépendants dont la religion serait perçue par les autorités comme « étrangère ». Le CVDDH et la FIDH pressent l’Union Européenne d’exiger du Vietnam la cessation des harcèlements répétés, des assignations à résidence et des restrictions à la liberté de circuler du chef du Mouvement Bouddhiste de la Jeunesse Le Cong Cau, et appellent à la libération immédiate et inconditionnelle du Patriarche de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (EBUV) Thich Quang Do, qui a passé plus de 30 ans de détention sous différentes formes pour s’être fait l’avocat de la liberté religieuse, des droits de l’Homme et de la démocratie.
Dans leurs mémorandum conjoint, le CVDDH et la FIDH expriment leur profonde déception concernant le manque de progrès du Vietnam pour conformer sa législation nationale aux normes internationales en matière de droits de l’Homme. En dépit des engagements fermes, pris lors de son Examen Périodique Universel (UPR), de réviser les dispositions vagues sur les crimes contre la « sécurité nationale » dans le Code pénal, le Vietnam n’a entamé aucun commencement de réforme. Au contraire, dans le Code pénal amendé, adopté par l’Assemblée Nationale au début de ce mois, les incriminations comme « saper la solidarité nationale, semer la division entre les religieux et les non-religieux » (article 87), « faire de la propagande contre la République Socialiste du Vietnam » (article 88), « abuser des libertés démocratiques pour nuire aux intérêts de l’Etat » (article 258), mener des « activités visant à renverser le l’administration du peuple » (article 79) ont été maintenues en l’état, en dehors de leurs numéros.
Tout en se félicitant de la libération anticipée de la prisonnière politique Ta Phong Tan, le 19 septembre 2015, le CVDDH et la FIDH regrettent profondément qu’elle ait été immédiatement forcée de s’exiler aux Etats-Unis au motif que sa peine n’était qu’« interrompue » et qu’elle serait incarcérée automatiquement si jamais elle revenait au Vietnam. Cet exil forcé est une grave violation à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui stipule que « nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays ».
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